Arnaud ZUCKER 

Variabilité des images de constellations et fonction des images dans l’astronomie grecque : Eratosthène, Hipparque, Ptolémée, Université de Nice-Sophia Antipolis, 2010

 

 

Arnaud ZUCKER 

(U.N.S., Cepam UMR 7264)

http://physiologos.org/Physiologos/Fiche_personnelle.html

 

 

 

Variabilité des images de constellations et fonction des images dans l’astronomie grecque : Eratosthène, Hipparque, Ptolémée[1]

 

 

 

 

1. Listes et méthode

1.1. les listes

La littérature grecque offre un certain nombre de listes et d’inventaires de constellations, avec indication du nombre et de la position des étoiles, parfois sous forme de catalogue structuré. Les plus précis et étendus se trouvent dans

les Catastérismes d’Eratosthène (3ème av.), qui pour chaque constellation présente, dans sa forme actuelle, un appendice astrothésique ;

le Commentaire aux Phénomènes d’Eudoxe et d’Aratos d’Hipparque (2ème av.), qui commente et enrichit les descriptions de ses prédécesseurs ;

et la Syntaxe mathématique (Almageste) de Ptolémée (2ème ap.) qui propose une description des fixes sous forme de tableau complet (7.4-8.1) en quatre colonnes (position sur la figure traditionnelle, situation en longitude par rapport aux dodécatémories, latitude et grandeur). Ce catalogue de Ptolémée repose en partie sur un inventaire d’Hipparque, peut-être déjà présenté sous la forme d’un catalogue systématique

Le nombre d’étoiles situées dans ces textes de référence est à peu près du même ordre, bien qu’un décompte précis soit difficile à établir pour les deux premiers : entre 736 (Eratosthène) et 1022 (Ptolémée)[2]. Or ces catalogues continuent de poser des problèmes d’identification. La double qualification des étoiles dans les œuvres d’Hipparque et Ptolémée (place sur la figure -principalement animale ou humaine-, et coordonnées) permet de limiter les hésitations[3], mais les données proposées par Eratosthène, Eudoxe ou Aratos s’appuient uniquement sur des indications anatomiques et imposent comme clé de lecture une figure (le lion, le centaure, le bouvier…) qui s’avère être une référence instable et un patron imaginaire. Ainsi la moitié des étoiles situées par Eratosthène sur la figure de Cassiopée (7 sur 15) n’est pas identifiable (chap. 10). Les raisons de ces difficultés de lecture sont multiples. Certaines tiennent au ciel (changement de coordonnées des étoiles dans le ciel d’aujourd’hui, densité stellaire de la zone concernée…)[4], mais les plus gênantes tiennent aux hommes et sont dues au code iconographique utilisé pour la description[5].

Si l’identité des figures est globalement constante, la localisation des étoiles sur l’anatomie de la figure, en revanche, varie d’un texte à l’autre et amène à considérer le référent iconographique, institué sans doute en partie pour faciliter la connaissance du ciel et la reconnaissance des zones célestes, comme un instrument ambivalent : la donnée la plus précieuse pour l’identification des étoiles introduit aussi une source potentielle de confusion, qui se révèle croissante dans la tradition. On peut en effet supposer, et cette intuition est confirmée par un grand nombre de passages du traité critique d’Hipparque sur les Phénomènes, que les données iconographiques sont susceptibles d’entrer en conflit avec les données astronomiques et de perturber les calculs.

 

1.2. terminologie et méthode

La question du rôle des images dans la connaissance des fixes dépasse l’étude des Catastérismes d’Eratosthène et de la tradition qu’ils inaugurent, mais c’est ce texte, premier catalogue grec en date, qui la pose de la manière la plus nette. Les procédures suivies dans l’ensemble de la littérature sont communes et même en cas de double situation de l’étoile (image et coordonnées) les astronomes ne renoncent pas à la localisation imagée de l’étoile. On ne peut donc faire abstraction de l’image en astronomie ni dans une approche anthropologique globale, ni dans son évaluation scientifique. Il convient de distinguer pour la suite :

la configuration d’un astérisme (schéma correspondant à la mise en réseau d’étoiles par des lignes),

la figure d’une constellation (le personnage représenté),

et l’icône (le dessin précis, avec une posture, une gestuelle et d’éventuels attributs).

Nous utiliserons le mot image, comme concept général, dans le sens vague de représentation, incluant les valeurs de figure et d’icône.

La question qui nous intéresse ici n’est pas celle de la figure sélectionnée et parfois importée dans la culture grecque (animale, humaine, marine, monstrueuse etc.), mais celle de l’icône : image supposée, imaginaire, implicite et indiquée (par zones) dans les textes, et représentée seulement dans quelques témoignages iconographiques à la fois tardifs et vagues (sphères). Car si l’on peut se contenter d’une connaissance vague de la figure pour une localisation sommaire des astérismes, l’identification précise des étoiles oblige, pour décoder les informations textuelles, à reconstituer l’icône même. Or cette icône est, pour l’astronomie antique, à la fois virtuelle et plurielle, si bien que les figures qui doivent fixer les étoiles sont encore moins fixes que les étoiles dans leur mouvement perpétuel sur la huitième sphère.

Après avoir indiqué les modes de représentation des constellations et les outils descriptifs utilisés dans les textes astronomiques on étudiera les caractéristiques et les principaux vices de forme des icônes reconstituées pour mieux évaluer le statut et la fonction des figures dans le discours astronomique.

 

 

2. Le traitement de l’image

2.1. les descripteurs

2.1.1. le vocabulaire anatomique

L’analyse de l’image et la précision des parties identifiées et notées varie considérablement d’un auteur à l’autre et d’une constellation à l’autre, sans relation directe avec la densité stellaire de l’astérisme. Ainsi Eratosthène (chap. 38) décrit presque sans détails le Poisson : « Le Poisson a douze étoiles parmi lesquelles trois brillantes sur le museau ».

Pour s’en tenir aux membres humains et animaux, le vocabulaire anatomique est sous-employé :

le bras (βραχίων, brachiôn) est signalé deux fois seulement chez Eratosthène (et jamais chez Hipparque),

l’avant-bras (πῆχυς, pèchus) est exceptionnel (uniquement chez Ptolémée),

et le terme χείρ (cheir) est appliqué à la section du bras qui va au moins de l’extrémité des doigts au coude,

l’expression ἐπ᾽ ἄκρας χειρός (ep’ akras cheiros) distinguant la main.

Les articulations sont parfois indiquées (coude, genou, épaule), mais pour les membres inférieurs seuls sont mentionnés la cuisse (μηρός, mèros) et le pied (πούς, pous), lequel a une extension analogue à celle de χείρ[6]. Certains animaux (poisson, serpent, monstre marin…) ont une morphologie moins articulée et donc plus difficile à détailler. Pour surmonter la difficulté la description numérote les positions dans une série, faisant de la troisième étoile sur la queue du Scorpion « la troisième vertèbre » (Hipparque 3.3.5), et ainsi pour les replis du serpent (Hipparque 2.2.52), les méandres de l’eau (Hipparque 2.6.3), ou les alignements d’étoiles sur une carapace (Hipparque 3.4.1)[7].

 

2.1.2. le vocabulaire directionnel

       Les indications de direction soit s’inscrivent dans la logique anatomique (partie gauche vs droite, patte avant vs arrière), soit se rapportent aux points cardinaux en termes géographiques (nord/sud/levant/couchant) ou strictement astronomiques, d’après le sens de déplacement de la sphère des fixes (étoile qui mène = occidentale vs étoile qui suit = orientale). Eratosthène use uniquement, à deux exceptions près[8], des références anatomiques, souvent insuffisantes pour l’identification, en particulier pour les figures représentées de profil[9]. Sur l’ensemble du catalogue d’Eratosthène, pour les quarante-deux astérismes, les indications de latéralité (droite-gauche) sont par ailleurs relativement rares[10], et suggèrent soit un abrègement exagéré de cette section par l’auteur-épitomateur du texte, soit une dépendance étroite de ce texte à l’égard d’un support illustré censé offrir les nécessaires compléments aux indications textuelles[11].

 

Les orientations.

NB : l’expression « qui mène » = occidental, car dans le mouvement apparent des étoiles qui se lèvent à l’est et se couchent à l’ouest, l’étoile la plus à l’ouest est celle  qui « conduit le mouvement de la constellation »; « qui suit » = plus à l’est.

E = Eratosthène. A = Aratos. H = Hipparque. P =  Ptolémée

 

2.1.3. le vocabulaire relationnel

Les astérismes forment, au niveau imaginaire, un réseau dense et solidaire qui justifie une description des figures en contexte, leur position étant définie par rapport aux figures voisines et souvent même déterminée par elles. Voici des fragments de description réunis par Hipparque (1.2.8-9) :

Concernant la position de la Grande Ourse, voici le texte d’Eudoxe : « Sous la tête de la Grande Ourse sont situés les Gémeaux, sous sa partie centrale le Cancer, sous ses pattes postérieures le Lion. Devant les pattes antérieures de l’Ourse se trouve une étoile brillante, une plus brillante encore sous les genoux postérieurs, et une autre sous les pattes postérieures » (fr. 28) ; et celui d’Aratos : « Sous sa tête il y a les Gémeaux, sous son milieu le Cancer, / et sous ses pattes de derrière le Lion brille d’un bel éclat » (Ph. 147-148) ; et à propos des étoiles mentionnées par Eudoxe : « tant elles sont belles et grandes, celles qui se meuvent devant ses pattes, / une devant les pattes qui prolongent les épaules, une autre devant celles qui descendent des hanches, / une autre enfin à l’arrière sous les genoux » (Ph. 143-145).

Les prépositions spatiales situent les astérismes par rapport aux autres constellations, mais servent aussi à annexer à la figure des étoiles qui sont à sa périphérie. Mais les paires qu’elles forment ne relèvent pas d’un système uniforme. L’axe sagittal des figures (avant/arrière) est toujours défini par le sens de la marche de l’animal concerné (avant = antérieur ou frontal), indépendamment du mouvement de la sphère (d’est en ouest). Alors que l’avant et l’arrière sont donc relatifs à l’orientation de l’icône, le plan vertical des figures se confond, lui, avec celui du cosmos, si bien que toute étoile située au nord d’un astérisme est décrit comme placée au-dessus de lui, même si l’icône qui représente ce dernier a, comme Céphée, la tête tournée vers le sud et le corps ‘à l’envers’. Andromède est au-dessous (ὑπό, hupo) de sa mère Cassiopée, alors que son corps, lui aussi renversé et orienté à peu près comme celui de sa mère, est au-delà de sa tête, vers le sud (Aratos, Ph. 197-198). Il arrive cependant que le dessous ne corresponde pas à une situation plus australe mais s’inscrive (comme dans le plan sagittal) dans la logique de la figure : Eratosthène (chap. 4) situe le Dragon sous le genou d’Héraclès (Her), alors qu’il est plus proche du pôle que l’Agenouillé. Ce cas illustre peut-être une superposition de deux schémas d’organisation différents[12], mais il s’explique sans doute par le fait qu’il s’agit là d’une relation presque interne entre deux astérismes perçus comme appartenant à un complexe soudé, comme Cassiopée est assise sur un fauteuil situé plus au nord que son corps (chap. 16).

 

2.1.4. les coordonnées et les données géométriques

Les descripteurs employés dans les signalements de constellations, en particulier dans la littérature pré-hipparchéenne, ne sont donc pas systématiques et ces dernières ne sont pas suffisamment informées pour permettre une identification sûre. Si le catalogue de Ptolémée et les énumérations d’Hipparque sont plus satisfaisants d’un point de vue astronomique, c’est qu’ils utilisent aussi pour les étoiles un vocabulaire positionnel systématique fondé sur un découpage théorique de la sphère : les coordonnées (écliptiques ou équatoriales)[13]. Toutefois ce quadrillage du ciel saisit non pas les constellations mais les étoiles individuellement, et il vise davantage à fournir des mesures que des localisations. Ce référentiel semble pouvoir dispenser, théoriquement, de toute référence iconographique, mais il est toujours associé et non substitué au registre de la représentation figurée.

Le régime de l’image est dominant, même lorsque les risques qu’encourt de son fait la précision astronomique sont bien perçus, comme dans le Commentaire aux Phénomènes d’Eudoxe et d’Aratos d’Hipparque. Par ailleurs, et contrairement à ce que l’on pourrait croire, les descriptions de constellation signalent rarement des configurations géométriques simples, pourtant aisément repérables (ligne, triangle, losange, quadrilatère) et susceptibles d’aider à l’identification des astérismes ou d’un secteur céleste. Cette omission n’est pas moins prononcée dans les catalogues systématiques que dans les textes plus littéraires[14]. Il y a cependant quelques figures traditionnelles comme celle que signale Hipparque (1.2.11-12) :

« Sur Céphée voici comment s’exprime Eudoxe : « Sous la queue de la Petite Ourse se trouvent Céphée dont les pieds forment avec l’extrémité de la queue un triangle équilatéral. La partie médiane de Céphée est contre la courbure du Serpent qui passe entre les Ourses » (fr. 33) ; et Aratos : « La ligne qui part du bout de la queue de l’Ourse et atteint chacun / des deux pieds de Céphée est égale à celle qui se tend d’un pied à l’autre » (Ph. 184-185).

Mais leur nombre est très réduit. Eratosthène, qui oublie même de mentionner le fameux quadrilatère de la Grande Ourse dans la description pourtant assez détaillée qu’il fait de cette constellation (chap. 1), n’indique dans son ouvrage que deux figures[15] :

« la Couronne a neuf étoiles qui forment un cercle » (chap. 5) ;

« sept étoiles formant un triangle du côté de la queue du Lion [= la chevelure de Bérénice] » (chap. 12).

 

2.1.5. la posture

Le signalement des constellations comporte en fait peu d’indices, que ce soit sur la configuration stellaire ou sur la nature de l’icône. Malgré certaines affirmations convenues (en particulier chez Aratos)[16] sur les repères du ciel, sortes d’amers célestes, il semble que la vocation des descriptions ou catalogues ne soit jamais d’aider à l’identification, mais plutôt de perpétuer en partie pour elle-même une version historiée et organisée du ciel.

Les catalogues d’Hipparque et Ptolémée se distinguent peut-être des rubriques astrothésiques d’Eratosthène ou des notations d’Eudoxe en ceci seulement qu’ils visent à faire du ciel non un théâtre mais une horloge cosmique extrêmement précise, -mais sans se soucier davantage de former à l’observation et à la connaissance du ciel : Pas plus Ptolémée qu’Aratos ne soutient le fantasme d’un ciel grec qui serait celui du marin, du laboureur ou de l’amateur. Le défaut le plus flagrant de ces descriptions d’images concerne la tournure et la posture des figures –leur anatomie topographique en quelque sorte–. La pose des figures célestes n’est presque jamais spécifiée dans les textes, même lorsque les icônes correspondant aux descriptions textuelles apparaissent totalement déformées, voire irréalisables. Proposer une projection imagée des descriptifs de constellations, qui sont essentiellement des inventaires, est un casse-tête et aboutit toujours à des icônes aberrantes ou infidèles[17]. Les références physiques aux corps sont pures et sans indication de posture, d’orientation, de gestes et souvent d’attributs.

Dans l’appendice astrothésique d’Eratosthène on ne relève que trois détails iconiques :

« le Taureau avance en rentrant sa tête vers son corps » (chap. 14) ;

« la Coupe est inclinée en direction des genoux de la Vierge » (chap. 41) ;

« le Corbeau regarde vers le couchant » (chap. 41).

L’icône est supposée à la fois préalable et connue, de sorte que le positionnement des étoiles s’opère sur une figure que le texte ne décrit pas mais sur laquelle au contraire il se fonde. Ce rapport à l’icône maintenue implicite suggère aussi une relative autonomie –tenant lieu d’évidence– de la représentation traditionnelle de la figure (comme développée parallèlement mais sans contrôle ou selon un autre code) et de la configuration stellaire.

 

2.2. la présentation de l’image

2.2.1. voûte et sphère

Le rôle ambivalent de l’image dans la représentation et la maîtrise de la topographie céleste apparaît de manière flagrante lorsque l’on s’avise que les descriptions d’images reposent sur deux systèmes de représentation divergents : celui de la voûte (vision intérieure du ciel) et celui de la sphère (vision extérieure du ciel). La première suit une projection des constellations sur l’hémisphère visible du ciel nocturne, et la seconde, qui nous est sans doute moins familière car elle repose sur une conception sphérique du ciel étoilé, adopte la perspective d’un observateur placé à l’extérieur du monde. Il existait peut-être en Grèce des ouvrages illustrés présentant les figures selon l’un et l’autre points de vue, comme on le voit dans la plupart des manuscrits arabes du Catalogue des étoiles fixes (Suwar al-kawâkib al-thâbita) du célèbre astronome perse Abd al-Rahman Al Sufi (Azophi, en Occident, 903-986) où elles figurent en miroir.

 

 

'Abd al-Rahmân al-Sûfî, Suwar al-kawâkib al-thâbita (Catalogue des étoiles fixes).

Copie orientale, 1266-67. Papier. BNF, Manuscrits orientaux (Arabe 2489)

 

L’icône constellaire à retrouver n’est donc pas le fruit d’une dialectique entre une description astrothésique et la projection mentale d’une image sur la voûte étoilée, mais le résultat d’un croisement entre trois modes de représentation, dont deux présentent un régime homogène mais sont inversés l’un par rapport à l’autre. Si les documents iconographiques manquent pour la période considérée (4ème s. av.—2ème s. ap.) certains objets, comme le globe de Mayence, la sphère Cuvigny ou l’atlas Farnèse montrent une figuration retournée des constellations apparaissant en effet de dos, comme vues par un spectateur imaginaire de l’extérieur de la sphère des fixes, alors que leur face est tournée vers l’observateur terrestre dans la représentation intuitive qui suit le point de vue empirique[18].

 

 

            

Globe de Mayence (g) et Atlas Farnèse (d)[19]

 

Hipparque soutient que « toutes les constellations sont astérisées (ἠστέρισται, èsteristai) par rapport à notre vue » (1.4.5), ce qui n’exclut pas une représentation de profil, formule qui apparaît de fait très fréquente dans les reconstitutions d’icônes et facilite leur retournement dans la projection sphérique[20]. Ce ne sont pas les images canoniques (i.e. inversées) de la sphère qui sont décrites dans les catalogues, puisque aucune étoile n’est située sur la partie dorsale des figures humaines ; mais ce double langage de l’image perturbe néanmoins la description, dans la mesure où l’auteur du catalogue dispose d’outils présentant la figure dans ses deux versions, pour ne pas dire sous ses deux faces, et certaines bizarreries s’expliquent aisément soit par une confusion des deux points de vue, soit par l’introduction dans le texte d’une correction postérieure, inspirée à un copiste par la consultation de l’autre version du ciel.

 

2.2.2. la méthode de conversion.

Mais le retournement de l’image impose un choix qui a des répercutions sur la cohérence de l’image. Majoritairement le code retenu dans les textes correspond pour les images à une latéralisation absolue (la droite est la droite anatomique) et non à une latéralisation relative (où la droite est déterminée par rapport à l’observateur et se trouve donc être la gauche anatomique d’une figure vue de face) ; mais le déplacement opéré pour une projection sur la sphère brouille les repères, car il peut se faire de plusieurs manières.

La conversion de la Grande Ourse. Villa Farnèse à Caprarola, Italie (environ 1573)

 

Comme on le voit dans cette paire, où la figure de l’Ourse (b) a subi une transposition plane, les membres droits de l’animal sont devenus les membres gauches. Si, en revanche, la méthode de conversion suit une symétrie axiale (symétrie orthogonale par rapport à une droite) les membres des figures de profil gardent leur latéralité originale (la patte avant droite reste alors la droite) :

 

Les Grande Ourse dans leur version éditoriale : Jamieson (1822 : gauche, haut) Flamsteed (1753 : gauche, milieu) ; Uranometria, Bayer (1603 : gauche, bas) Villa Farnèse à Caprarola (1573 : droite, haut) ; Uranographia, Hevelius (1690 : droit, bas)

 

De la même manière, pour les figures humaines, éventuellement présentées de face, plusieurs transpositions sont possibles. Orion, comme toutes les figures anthropomorphes célestes, est normalement droitier (Flamsteed) dans une projection intérieure (de voûte) ; dans la projection extérieure (de sphère), il est de dos, et soit il reste droitier (Hevelius), soit il devient gaucher (Bayer) si la figure n’est pas déplacée mais subit un retournement minimal (renversement du buste) :

 

 

        

Orion selon trois atlas majeurs

Flamsteed (1753, gauche) ; Uranographia, Hevelius (1690, centre) ; (b) Uranometria, Bayer (1603, droite)

 

A partir d’une même figure et d’une même configuration d’étoiles, surtout si l’on fait à sa guise varier la latéralisation, les icônes possibles sont donc multiples et ne se réduisent pas aux deux options avancées (symétrie plane/ symétrie axiale). On trouve toutes les formes dans les atlas modernes et l’on peut supposer, même si nous ne disposons pas d’un corpus équivalent, que les représentations antiques n’étaient pas plus rigoureuses ni homogènes que les représentations modernes. Il est en outre vraisemblable que ces déplacements n’étaient pas systématiquement réalisés et pouvaient avoir une nature mixte, comme dans la figure suivante illustrant le Catalogue de Al Sufi :

 

  

Le Sagittaire : mss XIVe s. British Library, Or. 5323 (gauche) ; Hévélius (1690 : droite).

 

    

Le Sagittaire : mss datant de 1417, p. 65 (r/v), Library of Congress.

 

Ptolémée décrit sur les pattes antérieurs deux étoiles sur la gauche (sur le jarret = β1 + β2 ; sur le genou = α Sgr) et une sur la droite (sur le jarret = η Sgr). Hévélius respecte cette position, tandis que l’ illustration de Al-Sufi (British Library) inverse les deux pattes. Le second manuscrit du texte d’Al-Sufi présente les deux versions du Sagittaire. Indépendamment de la version (de voûte = image de gauche / de sphère = image du centre), les deux sont fautives. Pourtant, l’illustrateur, en convertissant l’image de voûte (gauche) a opéré une transformation seulement partielle de l’espace, puisque le contexte de la patte droite reste le même (ce qui conduit à conserver deux étoiles brillantes sur la patte droite), tandis que les mains sont inversées (la gauche devenant la droite).

Dans l’édition suivante, l’image est strictement inversée : la gauche reste la gauche dans les deux versions ; l’image de droite est l’image de voûte, et la main gauche tient effectivement l’arc (position naturelle et correspondant au descriptif ptoléméen), mais la patte à deux étoiles est la patte droite et non la gauche ; ainsi aucune des deux images n’est correcte.

 

   

Le Sagittaire : 33 étoiles notées (trois petites sur le visage). Mss de 1430-1440. Bibliothèque nationale de France. Département des manuscrits. Arabe 5036

 

Description et identification des 31 étoiles du Sagittaire selon Ptolémée[21]

L'étoile sur la pointe de la flèche : g Sgr

Celle à l'endroit où l'arc est saisi par la main gauche : d Sgr

L’étoile sur la partie sud de l'arc : e Sgr 

L’étoile sud des [deux] sur la partie nord de l'arc : l Sgr

L’étoile nord de celles-ci, au bout de l'arc : m Sgr

L’étoile sur l'épaule gauche : s Sgr

Celle à l'ouest de la précédente, sur la flèche : j Sgr

L’étoile sur l’œil, nébuleuse et double : n1 + n2 Sgr

L’étoile la plus à l’ouest des trois sur la tête : x2 Sgr

Celle des trois qui est au milieu : o Sgr

La plus à l’est des trois : p Sgr

L’ étoile la plus au sud des trois sur l'attache nord du manteau : 43(d) Sgr

Celle des trois qui est au milieu : r Sgr

L’étoile la plus au nord des trois : u Sgr

L’étoile faible à l'est de ces trois : 55(e) Sgr

L’étoile nord des deux sur l'attache sud du manteau : 61(g) Sgr

L’étoile sud de celles-ci : 56(f) Sgr

L’étoile sur l'épaule droite : c1 Sgr

L’étoile sur le coude droit : 51(h1) +52(h2) Sgr

Les trois étoiles sur le dos :

Celle entre les épaules : y Sgr

Celle du milieu , au-dessus de l'omoplate : t Sgr

La dernière, sous l'aisselle : z Sgr

L’étoile sur le jarret gauche de devant : b1 + b2 Sgr

Celle sur le genou de la même patte : a Sgr

L’étoile sur le jarret droit de devant : h Sgr

L’étoile sur la cuisse gauche : q1 Sgr

L’étoile sur l'articulation [de la patte] droite de derrière : i Sgr

Les quatre étoiles [formant un quadrilatère] à la naissance de la queue :

L’étoile ouest sur le côté nord : w Sgr

L’étoile située à l’est sur le côté nord : 60(A) Sgr

L’étoile ouest sur le côté sud : 59(b) Sgr

L’étoile située à l’est sur le côté sud : 62(c) Sgr

 

2.2.3 confusion de la latéralité

On peut prédire sans mal que les confusions de droite et de gauche dans les textes, compte tenu du double régime de la figure, risquent d’être nombreuses, et irrégulières. Il est d’ailleurs possible que la relative rareté de ces indications dans le texte d’Eratosthène soit en partie liée à leur ambiguïté[22]. « Si on parle de main droite ou gauche, dit justement une scholie aux Phénomènes d’Aratos, et si on trouve le contraire sur la sphère, n’en soyons pas étonnés. C’est que les constellations devraient être vues du dedans, sur la sphère comme dans le ciel, mais elles sont tracées à l’extérieur pour nous permettre de mieux les reconnaître »[23]. B. Backouche (1997 : 158-159) soutient que les différents régimes de l’image sont sans incidence sur la direction absolue des figures. Mais, outre qu’il y a, comme on l’a dit, deux façons d’être à droite (droite absolue, droite relative à l’observateur)[24], on se perd aisément dans les jeux de miroir et les figures illustrées ne sont pas simplement vues de dos mais parfois retournées (comme une carte transparente). A la difficulté, pour l’illustrateur, d’opérer un vrai déplacement s’ajoutent deux facteurs techniques d’ordre iconographique, souvent négligés dans l’étude de la question :

·        les figures ne sont pas de profil mais plutôt de trois-quart face, et même si leur corps n’est pas entièrement orienté vers l’observateur naturel leur visage –et leur buste dans le cas des figures humaines– est de face, ou de trois-quarts face ; or, si une partie de la face est constellée, l’illustrateur doit tourner la face dans l’autre sens pour permettre d’y situer les étoiles ; la torsion produite déplace mécaniquement d’autres parties du corps et modifie la présentation de certaines parties.

·        les parties en arrière-plan d’une figure (celles qui ne correspondent pas au profil exposé) doivent compenser leur handicap de visibilité, surtout si elles sont concernées par l’astrothésie : comme dans les profils égyptiens les personnages qui présentent au regard leur côté gauche ont l’épaule et le bras droits (et souvent la jambe droite) décalés vers l’avant ; de même, si un animal présente son profil droit, sa patte antérieure gauche sera presque immanquablement en avant de l’antérieur droit (pour qu’elle ne soit pas en partie cachée par le corps). La logique dynamique (mouvement croisé des membres) veut qu’en ce cas (sauf pour les animaux qui amblent comme la girafe et l’ourse) les membres postérieurs soient dans un rapport inverse (la patte postérieure gauche en arrière de la droite)[25].

 

 

  

 

Dans le Lion de Bayer (1603) il y a irrégularité de positionnement puisque les deux pattes droites sont en arrière des gauches. L’ourse, en revanche, a la position traditionnelle des quadrupèdes marchant (dans Bayer et dans le manuscrit BNF : Copie orientale, 1266-67. Papier. BNF, Manuscrits orientaux (Arabe 2489), p. 23 r.), mais comme cet animal amble, l’image est fausse, d’un point de vue naturaliste, car il devrait avoir les deux pattes du même côté avancé ou reculé.

 

Prenons l’exemple du Taureau dont les deux épaules, les deux yeux et parfois les deux cornes portent des étoiles. Puisque l’avant de son corps est tourné vers les Gémeaux, qu’il précède dans le zodiaque, il offre naturellement au regard d’un observateur (de voûte) son côté gauche (voir image droite) ; nécessairement il doit donc tourner sa face vers son côté gauche (et la tournera de l’autre côté, vers la droite, dans une illustration de sphère, où son profil exposé sera le profil droit ; voir image gauche).

 

 

Le Taureau dans la copie orientale datée de 1266-67. BNF, Manuscrits orientaux (Arabe 2489), p. 118 r-v.

 

Or l’étoile « la plus brillante » du Taureau (α Tau = Aldebaran) se trouve sur la corne gauche selon Eratosthène ; et d’après Ptolémée elle se trouve sur l’œil sud. Si ces deux données sont correctes (sud = gauche) la tête du Taureau est davantage tournée vers la droite que vers la gauche, et cela interdit du même coup de situer des étoiles sur ses yeux ; la contorsion du cou ne correspond d’ailleurs nullement, en ce cas, à la position renfrognée décrite par Eratosthène (la tête rentrée dans les épaules) ; l’échine du Taureau étant grossièrement parallèle à l’écliptique, pour préserver les indications astrothésiques générales et montrer sa face un illustrateur représentera spontanément et presque nécessairement la partie gauche de la tête du Taureau au nord, et la partie droite au sud. On peut en conclure que, si le mot gauche pour α Tau n’est pas une erreur manuscrite, elle signale l’usage par Eratosthène d’une sphère comme référence immédiate. L’étoile située sur l’autre corne (Eratosthène) ou l’œil nord (Ptolémée) est nettement identifiable avec ε Tau et se trouve logiquement, sur une icône réaliste de voûte reconstituée, sur la corne gauche. Comme le Taureau a deux étoiles sur chaque patte antérieure (d’après Eratosthène et Ptolémée), le test des pattes ne peut confirmer l’usage d’un référent sphérique homogène[26].

Des données correspondant à la voûte et à la sphère sont ainsi combinées dans les textes, et l’on voit que les nombreuses corrections des éditeurs inversant la latéralité, pour harmoniser la vision, ne rétablissent pas un texte intègre mais lissent sa nature et gomment son hybridité[27]. Eudoxe (fr. 17) suivi par Aratos (Ph. 69-70)[28] prétend qu’Héraclès a le pied droit sur la tête du Dragon, alors qu’il s’agit du pied gauche sur une icône de voûte, comme le remarque justement Hipparque (1.2.6)[29].

 

L’Agenouillé selon trois atlas majeurs. Bode (1782, gauche, haut) ; Uranometria, Bayer (1603, gauche, bas) ; Villa Farnese à Caprarola (1573, droit)

 

Selon Eratosthène le Bouvier (chap. 8) a 4 étoiles sur la main droite alors qu’il s’agit dans une icône de voûte de la gauche[30] ; pour Ophiuchus (chap. 6, manuscrit E) le texte signale, en inversant la donne, 3 étoiles sur la main droite (λ Oph, δ Oph, ε Oph sur le bras gauche), et 4 sur la main gauche (γ Oph, τ Oph, ν Oph et ζ Ser, sur le droit). L’absence de systématicité dans les conversions ainsi que les efforts pour conserver des données héritées, et parfois erronées, conduit à des situations scabreuses. Ainsi Aratos prétend (Ph. 58-60), évidemment à tort, que le Dragon a la tempe droite sur la même ligne qu’Héliké (UMi) ; pour le sauver Attale (Hipparque 1.4.4-5 & 9) retourne la figure du dragon en l’obligeant à regarder non plus vers la terre, ce qui est conventionnellement la position de toutes les constellations, mais vers l’extérieur.

« Et prétendre, comme le fait Attalos, qu’Aratos se figure une représentation inversée de la tête du Dragon, qui n’aurait pas la face tournée vers l’intérieur du monde, est totalement invraisemblable. Toutes les constellations sont figurées au ciel en fonction de notre observation et en quelque sorte orientées vers nous, sauf celles qui sont de profil. Aratos lui-même l’indique clairement dans de nombreux exemples, puisqu’à chaque fois qu’il précise s’il s’agit de la partie droite ou de la partie gauche de la constellation ses données sont en accord avec le principe qu’on a formulé. C’est un principe qui est par ailleurs à la fois typique des arts graphiques et esthétiquement adapté. Mais Attalos cherche à justifier cette erreur » (Hipparque 1.4.5-6)

Il ne s’agit plus ici de sauver les apparences, mais, comme dans toute exégèse pieuse, de sauver le savoir du poète. Hipparque fournit de nombreux exemples de ces perturbations qu’un vocabulaire approximatif ou poétique ne peut évidemment qu’aggraver[31].

 

2.3. De la constellation à l’icône

2.3.1. Le mouvement des figures

Mais la concurrence de ces deux points de vue ne constitue pas le seul vice de la figuration astrale. Le ciel constellé ne répond pas à un schéma d’ensemble et constitue une œuvre bricolée et un bazar assez incohérent d’images. Au-delà de la diversité des objets célestes, on peut ainsi s’étonner que l’orientation des figures ne soit pas réglée sur le mouvement du ciel (d’est en ouest) et qu’elles semblent au contraire jetées en vrac, dans tous les sens, prêtes à se lever de biais ou à l’envers. Le sens du mouvement du ciel est pourtant un paramètre essentiel de la représentation astronomique et le caractère dynamique de la plupart des icônes en témoigne (Hübner 2005 : 234). Malgré cela, et pour s’en tenir aux signes zodiacaux, un tiers d’entre eux sont orientés vers l’est (le Cancer, les Gémeaux, le Taureau, et d’une certaine façon le Verseau), sans parler de l’énantiodromie des Poissons, alors que le mouvement des signes va d’est en ouest[32].

 

2.3.2. Les variations de l’image

Les figures, indépendamment des attributs divers qu’ils peuvent recevoir et qui n’ont pas toujours d’incidence profonde sur l’astrothésie, ont des postures changeantes, sources plus graves de désaccord entre les descriptions. Céphée n’a pas toujours, comme les autres membres de sa famille (Cassiopée, Andromède, et même Persée), les bras écartés (Hipparque1.7.21). Aratos place le bout des Pinces et la ceinture d'Orion sur l'équateur ; et si Hipparque (1.6.11 et 1.10.19) ne conteste pas cette situation pour nous erronée, lorsqu’il signale ce passage, c’est sans doute qu’il place lui aussi la ceinture sur l'équateur. L’apparente erreur (puisque les étoiles de la ceinture (δ Ori, ε Ori, ζ Ori) étaient à l’époque d’Hipparque à environ 5 degrés au sud de l’équateur) tient sans doute à une différente projection de l’image[33]. Il est des cas plus graves d’évolution d’image, à commencer par la Grande Ourse. Hipparque prétend (1.5.1 sq.) que selon Aratos α UMa est la tête de l'ourse (et il en déduit un positionnement erroné de la part d'Eudoxe-Aratos)[34] ; et, en effet, il semble que la figure de l’Ourse ait été initialement inscrite entièrement dans un schéma réduit aux sept principales. La distorsion de l’image est à la fois considérable et exemplaire.

 

 

La Grande Ourse : deux modules successifs de l’ourse, dans les textes anciens, à 7 et à 21 étoiles.

 

A titre d’exemple, pour les quatre étoiles du rectangle (α, β, γ, δ UMa) la place indiquée par Eratosthène (E), Hipparque (H) et Ptolémée (P) est la suivante : α UMa =  sur l’omoplate (E), sur la tête (H), sur le dos (P) ;  β UMa = sur la poitrine (E), sur la patte antérieure (H), sur le flanc (P); δ UMa = sur l’échine (E), sur la hanche (H), à la naissance de la queue (P) ; γ UMa = sur le ventre (E), sur la patte postérieure (H), sur la cuisse arrière gauche (P).

Dans le chapitre introductif à son catalogue (Alm. 7.4) Ptolémée souligne, exemple à l’appui, ces variations, en insistant sur le rôle crucial des coordonnées mathématiques pour identifier les étoiles : « Nous n’avons pas suivi précisément pour les étoiles les distinctions de places qui leur étaient assignées par nos prédécesseurs, comme eux-mêmes ne s’étaient pas astreints à celles qui étaient en usage avant eux ; mais nous leur en avons donné d’autres plus adaptées à la conformation régulière des figures (μᾶλλον ἀκόλουθον τῷ εὐρυθμῷ τῶν διατυπώσεων, mallon acolouthon tô euruthmô diatupôseôn). Ainsi celles qu’Hipparque a placées dans les épaules de Vierge, nous les avons appelées les étoiles de ses côtés, parce qu’elles nous ont paru plus éloignées de celles de la tête, que de celles de l’extrémité des mains ; et par conséquent parce qu’elles conviennent aux côtés, elles ne vont pas bien aux épaules. Au reste, il sera aisé, en comparant les lieux décrits de ces étoiles, de reconnaître celles qui sont différemment configurées (δι' αὐτῆς τῆς κατὰ τὰς ἀναγραφομένας αὐτῶν ἐποχὰς συγκρίσεως ἐπιβάλλειν τοῖς διαφόρως σημαινομένοις τῶν ἀστέρων) »[35].

Voici deux exemples parmi bien d’autres de ces variations :

 

ANDROMEDE

Eratosthène

Hipparque

Ptolémée

Nombre d’étoiles

20

[10]

23

ε And 

sur le bras

 

sur l’épaule

σ And 

sur l’épaule

sur l’épaule

sur le bras

η And 

sur la main

 

sur le coude

ι And

sur le coude

 

sur la main

γ And 

sur le pied gauche

sur le pied gauche

au-dessus du pied g.

 

Grand Chien

Eratosthène

Hipparque

Ptolémée

γ CMa

sur le cou

sur la tête

sur le cou

ν2 ν3 CMa

sur le poitrail

 

sur le genou droit

δ CMa

sur le dos

sur les reins

à la base de la cuisse gauche

Andromeda, selon le descriptif de Ptolémée http://www.metahistory.org/images/AndromedaStaal.jpg

 

Les variations de la position d’Arcturus sont également significatives : selon les sources l’étoile majeure du Bouvier est placée sur la ceinture (scholies à Aratos, Hygin), sous la ceinture (Aratos), entre les cuisses (Ptolémée), au milieu des jambes (Géminos), entre les genoux (Eratosthène, Virtuve), ou… sur la poitrine (Manilius)[36].

 

2.4. les aberrations iconographiques

Ptolémée, dans l’avertissement cité, motive ses choix de placement par un souci de l’équilibre et de l’harmonie (anatomique) des figures (τὸ εὔρυθμον, to euruthmon). Et, de fait, les icônes reconstituables d’après les descriptifs astrothésiques de la tradition ératosthénienne (Catastérismes) ou aratéenne (Phénomènes) présentent de nombreuses bizarreries ou incohérences. Beaucoup d’images sont tordues, étirées, invraisemblables -ou tronquées (μελοκοπούμενα, melokopoumena), comme Argo, le Taureau, le Cheval, le Fleuve[37]. Certaines sont irreprésentables.

 

2.5. la relation configuration-figure

2.5.1. la ponctuation de la figure

La relation trouble du descriptif astrothésique aux icônes serait intolérable si la figure ne jouissait, par elle-même et globalement, d’une représentativité et d’un sens suffisants. La fonction principale de la figure est d’unifier un amas d’étoiles dans une image ‘porte-étoiles’, mais elle n’est pas fondamentalement de traduire leur position individuelle et leurs rapports de manière infaillible. Souvent sans traits ni posture la figure offre un standard anatomique qui permet d’animer et d’historier le ciel, mais son programme n’est pas de le stabiliser précisément. Pour le Flot du Verseau Eratosthène indique « 31 étoiles, dont 2 brillantes » (chap. 26). Il n’apporte aucune précision supplémentaire (après on parlera de méandre pour détailler la figure)[38], et il est impossible sur les indications qu’il donne d’identifier les étoiles concernées et les détails de l’icône. Il donne un message, mais c’est tout sauf un portrait. Tous les auteurs qui recourent à la figure comme repère commun et privilégié, même s’ils ne font pas état de sa signification mythologique, sont plus sensibles à la valeur imaginaire de la figure que soucieux d’individualiser les étoiles ; la constellation englobe et éclipse les étoiles. Il faut excepter Hipparque et Ptolémée qui sont visiblement davantage gênés que guidés par la référence iconographique, même s’ils doivent s’appuyer sur ce langage commun. Conçues peut-être pour les mettre en valeur et les familiariser les constellations volent la vedette aux étoiles et les mettent au service de leur propre promotion ; alors qu’elles sont historiquement projetées sur le « ciel étoilé », lors d’une catastérisation divine, elles se glissent sous les étoiles et s’en font éclairer, devenant les hypostases des étoiles et les sujets du ciel. Dans les Catastérismes c’est la figure, maîtresse des ses lumières, qui a (ἔχει, echei) des étoiles sur (ἐπί, epi) le corps. L’ordre du texte, dans ses deux sections, commence par identifier la figure (astromythie) avant de la ponctuer (astrothésie) : sur l’image (εἴδωλον, eidôlon)[39] fixée au ciel on place (τιθέναι, tithenai) des étoiles qui sont situées (κεῖσθαι, keisthai) sur elle[40]. Dans ses Phénomènes, Aratos parle de corps et non d’étoiles[41], sauf pour signaler des lucida[42]. Par un détournement métonymique largement répandu, y compris dans le texte d’Hipparque[43], on parle de zones anatomiques et non de points, de sorte que ce sont « les épaules du Serpentaire » qui sont « brillantes » (Ph. 77), et non les étoiles qui s’y trouvent.

 

2.5.2. le rôle des graphistes

Cette emprise de la figure sur la configuration et le poids des images dans la description du ciel désigne les illustrateurs comme des acteurs à la fois précoces et essentiels de la transmission du savoir astronomique (et de son brouillage). D’après Hipparque Aratos copie Eudoxe ; d’après Stückelberger (1990 : 72) il décrit une sphère du même type que celle qu’avait Eudoxe sous les yeux[44]. Ce n’est théoriquement pas du tout la même chose, et pourtant on peut considérer les deux jugements comme complémentaires et pertinents. Eudème, Eudoxe[45], Eratosthène et Aratos, comme tous les astronomes, lecteurs ou traducteurs[46] de traités d’astronomie depuis Thalès[47] ou Anaximandre consultaient des sphères ou des planisphères (projection plane de sphère) imagés[48]. Les illustrateurs introduisirent sans doute des innovations et des variations dans les attributs des images humaines, rares dans le texte d’Eratosthène et souvent non concordants d’un auteur à l’autre : le Centaure tient un Loup dans la main gauche (Ptolémée), mais cette Bête est parfois remplacée par une outre à vin (Eratosthène) ; le Sagittaire est-il un bipède ou un quadrupède ? se demande Eratosthène qui le figure comme un homme debout (chap. 28) ; le Cancer est-il un crabe (brachyoure) ou un homard ?; Pégase a-t-il des ailes ? ; Orion a-t-il un poignard ou un bâton ? Céphée a-t-il ou les bras en croix ou près du corps (Hipparque 1.7.21)[49]. Sans même parler des subversions intentionnelles et idéologiques de constellations (scindées, rebaptisées, maquillées) leurs figures sont très plastiques.

On comprend de ce fait la remarque qui figure dans un fragment d’introduction au plus ancien manuscrit des Phénomènes : « Homère n’est attaqué que par une seule espèce de manieurs de stylet (βιβλιογράφων, bibliographôn ), celle des scribes ; mais Aratos en a deux contre lui, celle des scribes et celle des dessinateurs (καὶ ζωγράφων, kai zôgraphôn), dont les erreurs sont transformées par les esprits légers en accusations contre les idées du poète, parce qu’ils ignorent à la fois la suite générale du texte et la réalité même des faits »[50]. Car les illustrations sont aussi des modèles pour décrire les constellations et juger des textes. On ne peut relever toutes les erreurs dont témoignent les sphères conservées, en particulier le globe de Mayence (Cuvigny) qui, à la différence de l’Atlas Farnèse, nécessairement grossier mais relativement exact, est très infidèle à l’astrothésie textuelle, présentant par exemple le Cancer les pinces tournées vers les Gémeaux –alors que son corps est théoriquement orienté vers le Lion– (p. 351) et orientant les personnages humains souvent de façon farfelue (p. 380).

 

2.5.3. les deux figures et les trois signes

J. Martin propose, à partir du texte d’Aratos, deux analyses de l’image qui tendent à dissocier, dans la conscience et la pratique grecques, la réalité astronomique et son expression iconographique. Défendant le texte d’Aratos et sa valeur scientifique contre ses détracteurs, en particulier Hipparque qui l’aurait, selon lui, régulièrement mal compris, il suggère l’existence d’images mentales correspondant aux différentes configurations stellaires (abstraites), qui seraient les véritables objets du discours d’Aratos : « l’εἴδωλον (eidôlon) est la figure réelle dessinée par les étoiles, tandis que la μορφή (morphè) est l’interprétation que l’on donne de cette figure (une ourse, un lion, etc.) »[51]. Malheureusement cette distinction ne s’appuie que sur un passage et l’étude lexicale infirme cette analyse[52] : il n’y a pas de figure « réelle ». Il n’y a pas non plus de discrimination nette entre configuration et icône. Le rapport entre la figure et la configuration est présenté comme un lien de similitude qui autorise à remplacer le contour d’étoiles par l’image : « [le Capricorne] ressemble par son aspect (τῷ εἴδει ὅμοιος, tô eidei homoios) à Egipan » (Eratosthène, 27)[53], comme « [Procyon] présente des ressemblances (ποιεῖ ὁμοιότητα, poiei homoiotèta) avec le Chien, d’où son nom de Pro-kyon » (Eratosthène, 42)[54].

Dans un article plus récent Martin (2002) propose d’interpréter le sens du verbe ‘catastériser’, au rebours de ses anciennes lectures, comme signifiant non pas ‘placer au nombre des étoiles’, ni ‘transformer en constellation’, mais ‘représenter sous forme d’une constellation’… quelque chose qui est perçu autrement. L’opération, du même coup, cesse d’être une formule première d’acclimatation mythologique du ciel pour devenir une transcription secondaire –voire luxueuse- de la réalité stellaire. Il s’appuie sur des scholies d’Aratos[55] et signale un « décalage entre la figure réelle dessinée par les étoiles et l’image que cette figure est censée représenter » (2002 : 20), définissant de manière ambiguë le catastérisme comme « le dessin formé par les étoiles, la disposition des étoiles dans une constellation » (2002 : 21)[56]. La catastérisation, véritable exornatio[57], œuvre graphique et non plus visionnaire et divine, est autant la mise en forme stellaire d’une figure que la mise en image d’un amas d’étoiles. Mais cette interprétation, reposant sur un corpus partiel, n’emporte pas la conviction, d’autant qu’elle masque ce qui précisément pose problème en assimilant la disposition des étoiles (configuration) à un dessin (figure). La constellation n’a pas une identité astronomique distincte de son régime graphique, autrement dit de ses icônes.

       C’est ce que confirme justement un des extraits mentionnés par Martin (2002 : 22) dans son dossier, et qui distingue les sens du terme « signe zodiacal » (ζῴδιον, zôdion). Un des sens du mot, écrit Géminos, est « l’image constituée par les étoiles d’après la ressemblance, et d’après la position des étoiles » (τὸ ἐκ τῶν ἀστέρων εἰδωλοπεποιημένον κατὰ τὴν ὁμοιότητα καὶ τὴν θέσιν τῶν ἀστέρων)[58]. Le second sens n’a pas de rapport avec la constellation mais renvoie à un arc d’écliptique de longueur fixe (1/12ème du cercle zodiacal), que l’on appelle dodécatémorie. Dans le cas des signes zodiacaux le problème se complique en effet puisque le nom de la constellation peut désigner trois notions différentes : la figure (ou, dans une description, l’icône) ; l’arc d’écliptique (variable) occupé par la figure ; et la dodécatémorie[59]. Mais, là encore, en aucun cas les contours du dessin et le schéma des étoiles ne sont présentés comme des régimes distincts.

 

 

3. De la figure au symbole

3.1. la production d’images

Les savants qui ont interrogé les textes astronomiques anciens ont souvent cherché à imaginer la genèse de notre ciel, de l’hémisphère lumineux au lotissement de la voûte. Le Bœuffle résume ainsi ce qu’il pense être le processus cognitif dans ses grandes lignes : « Ainsi d’une manière schématique peut-on distinguer trois étapes dans la découverte du ciel : d’abord sont remarquées et notées les étoiles très brillantes, puis les configurations les mieux reconnaissables attirent l’attention et sont conçues comme des unités, enfin une étude plus approfondie conduit à séparer les éléments de ces figures et à en isoler les principales étoiles »[60]. Etrangement, dans cette récapitulation, le passage à la figuration est passé sous silence, à moins qu’il ne soit supposé, lors de la seconde étape, comme un ornement superficiel de la distinction des astérismes. Et, en effet, pour l’auteur, le premier stade serait marqué par Homère (où le nom de constellation renvoie surtout à la lucida), le second par Hésiode, …et le troisième par la postérité d’Eudoxe. Cette esquisse du processus cognitif est hautement improbable (comment peut-on noter et situer une étoile sans percevoir son contexte ?) et escamote surtout ce qui fait pour nous difficulté (une configuration n’est pas une figure). L’ellipse du rôle la figure dans cette description est d’autant plus inattendue que l’image est assurément ce qui donne son unité à la configuration et, par sa structure organique, communique à l’astérisme une organisation, certes d’un autre type mais, d’une certaine façon, solidaire. L’image (de la constellation) n’est pas seulement une aspiration imaginaire mais un outils d’arpentage, un cadre qui permet de tenir les étoiles ensemble ; et on ne peut nier qu’elle joue un rôle positif et officiel dans la formation du savoir. La prise de distance de Ptolémée à l’égard des représentations figurées, rendue possible par la maîtrise d’un autre système d’identification des étoiles, n’est pas un renoncement, encore moins une critique de l’image en général et des figures en particulier ; elle dénonce la dérive des icônes, l’absence de réglementation des représentations, et la difficulté croissante qu’il y a à s’entendre sur une concordance, à concilier le dessin et l’astrométrie.

 

3.2. la diffusion d’images

L’image n’est pas un mètre ; et le patron imaginaire qu’elle offre n’est pas contrôlé. L’histoire de la transmission des données astrothésiques n’est pas simplement une histoire de lecture et de récriture, parfois étayées sur une nouvelle observation. C’est davantage la recherche constante d’une mise en équation de descriptifs répondant à des régimes différents, eux-mêmes fruits de compromis, et qui se partagent le champ astronomique : l’image et le texte. Entre ces deux modes de description, il n’y a pas de stricte hiérarchie (entre l’illustrant et l’illustré), et le texte, bien souvent, est au service d’une représentation imagée. Dans les Catastérismes, le descriptif d’Eratosthène, imprécis, est clairement un relevé studieux, un commentaire d’illustration et non une description du ciel : « La Grande Ourse a sept étoiles sans éclat sur la tête, deux sur chacune des oreilles, une brillante sur les omoplates, une sur la poitrine, deux sur la patte antérieure, une brillante sur le dos, une brillante sur le ventre, deux sur les pattes postérieures, deux sur l'extrémité de la patte et trois sur la queue. En tout vingt-quatre ». La difficulté d’identifier les étoiles et de reconstituer les icônes provient du brouillage créé par ces ajustements successifs, ce bricolage pour faire coïncider texte, image et configuration[61]. Il ne s’agit pas de dire, contre l’opinion commune, que les ‘astronomes’ grecs (scientifiques et poètes) ne regardaient pas le ciel et se contentaient de commenter des artefacts, mais qu’ils ne pouvaient s’empêcher de le regarder à travers des représentations construites et des images, médiateurs inévitables, et non dans une utopique nudité[62]. Il serait naïf de croire qu’en observant le ciel les Grecs faisaient face à la nature.

 

3.3. la fonction des figures selon Aratos                                   

Le rôle essentiel et fondateur des images dans la description du ciel et donc, indirectement, dans la mesure et la connaissance du temps et des cycles planétaires était évident pour les Grecs, et Aratos, dans un passage justement célèbre propose déjà une interprétation résolument fonctionnaliste des figures. Il faut le citer en entier :

« Voici maintenant d’autres étoiles, de petite taille et douées d’un faible éclat,/ qui tournent entre le gouvernail et le Monstre marin ;/ elles sont répandues sous les flancs du Lièvre gris, sans nom./ Car leur disposition n’évoque pas (οὐκ ἐοικότεV)/ les membres d’une figure définie, comme celles, si nombreuses, / qui l’une après l’autre, rangées en files, passent toujours par les mêmes chemins / au cours des années, et que tel ou tel, dans les générations qui ne sont plus, / a observées, et qu’il entreprit de désigner toutes par des noms, / en leur donnant une forme (ἐφράσατ' ἠδ' ἐνόησεν ἅπαντ' ὀνομαστὶ καλέσσαι ἤλιθα μορφώσας). Car il n’aurait pas pu, si les étoiles / étaient restées isolées, leur donner un nom à toutes ni les reconnaître : / il y en a beaucoup partout, beaucoup ont des grandeurs comparables / et un éclat égal, et toutes tournent en cercle. / Aussi décida-t-il de les regrouper, pour leur permettre, / placées l’une près de l’autre dans un ordre déterminé,/ de dessiner des formes. Dès lors on put nommer / les constellations, et maintenant il n’est plus aucune étoile dont le cours soit inattendu. / Mais celles-là brillent fixées dans des figures bien nettes, tandis que celles qui sont placées sous le Lièvre en fuite / roulent toutes obscures et impossibles à nommer. » (Phén. 367-385).

Ainsi, Aratos (1) définit le rapport entre la figure et la configuration comme une similitude, (2) définit la genèse des constellations essentiellement comme un acte de nomination, (3) motive cet acte par le nombre des étoiles qui dépassait la mesure de l’homme et exigeait groupement et nom commun. Le programme de l’onomothète ancestral est donc de grouper les étoiles ( 3’ ), pour qu’elles expriment une figure ( 1’ ), et de les désigner par un nom ( 2’ ). Mais pourquoi, dans ce cas, les étoiles sous le Lièvre sont-elles (ou restent-elles) anonymes ? Des difficultés que pose ce passage Hipparque témoigne, qui cite l’interprétation d’Attale, et la critique qu’il lui adresse (1.8.9-13). Attale, d’abord :

« Dans ces vers le poète est embrouillé et plutôt maladroit : il reprend plusieurs fois la même idée et se montre incapable d’offrir un discours organisé clairement. En fait, il veut dire que les étoiles placées entre le Monstre marin et le Gouvernail, au-dessous du Liυèvre, ne sont intégrées dans aucune constellation et qu’elles sont anonymes. En effet, il y a beaucoup d’étoiles, dont certaines sont de taille et de couleur semblables, et l’homme qui, le premier, a mis de l’ordre dans les étoiles, a formé des ensembles stellaires et donné à chacun un nom, n’aurait pas été capable, dans l’état d’éparpillement qui était le leur, de les reconnaître, s’il n’avait extrait de leur masse les étoiles susceptibles, en combinaison avec d’autres, de représenter quelque chose, et ne leur avait de cette façon-là donné un nom ».

et la réplique d’Hipparque :

« Il me semble, tout au contraire, qu’Attale n’a pas du tout saisi la pensée du poète, et qu’en plus de cela il n’a même pas été capable de reformuler clairement le sens des vers qu’il se proposait d’expliciter, mais l’a fait en termes incompréhensibles, alors qu’Aratos, pour le coup, s’était exprimé de manière magistrale. (13) Ce dernier veut dire qu’entre le Gouvernail et le Monstre marin, sous le Lièvre, se trouvent des étoiles anonymes, en petit nombre et de petite taille. Telles qu’elles sont, leur disposition ne permet pas que l’on en tire la figure d’un animal ou d’un objet, à l’instar des autres constellations qu’un homme de l’ancien temps a dessinées. Mais cet homme-là n’a pas entrepris de donner une figure pour toutes les étoiles, car, comme il y a beaucoup d’étoiles dispersées et isolées, il n’aurait pas pu les rassembler en une figure unique « en leur donnant une forme ». C’est pour cette raison qu’il a pris le parti de donner forme en les nommant aux étoiles qui étaient relativement proches les unes des autres, et de trouver pour elles un nom »[63].

Echangeant leurs rôles (de procureur et d’avocat) Hipparque secourt ici Aratos contre Attale. Mais l’histoire de l’exégèse de ce passage a ceci de troublant que chacun semble trouver l’interprétation précédente plus obscure que celle de l’auteur même : Martin (1998) pense qu’Hipparque n’a pas bien compris Aratos ; Erren (1958) pense que Martin (1956) n’a pas bien compris ce passage ; et il faut avouer qu’Erren lui-même n’est pas facile à suivre. Le texte, il est vrai, est fort riche. La question principale est celle du nom (le développement aratéen procédant d’une remarque sur l’anonymat de certaines étoiles)[64], et la figure ne semble être dans ce passage qu’une modalité du nom. Lorsque Aratos dit que cet acte de nomination s’accompagne d’une mise en forme (μορφώσαV), il ne suggère pas un dessin ou une ‘forme complète’[65] mais plutôt une forme commune, le nom recouvrant un assemblage qui se tient, une configuration. Le but poursuivi par l’onomothète est la reconnaissance des étoiles, la possibilité d’en faire un objet d’apprentissage : de mémorisation et de transmission. Le nom assure donc une double fonction puisqu’il permet d’identifier et de transformer en savoir, en mettant l’étoile à une autre échelle, celle du groupement.

L’anonymat des étoiles situées sous le Lièvre n’est pas un scandale puisque l’onomothète, s’il visait à intégrer toutes les étoiles sous un nom (ἅπαντ ὀνομαστὶ καλέσσαι, hapant’ onomasti kalessai) ne pouvait trouver une figure à ce qui n’en avait pas : les étoiles sous le Lièvre sont depuis toujours anonymes[66] parce qu’ « elles ne représentent pas une figure ». La figure étant l’extension formelle du nom, les étoiles concernées sont privées, à un certain degré, de l’un comme de l’autre. N’offrant pas de similitude naturelle ces étoiles ne peuvent obtenir un certificat ordinaire, mais c’est leur caractère informe qui les en prive et non l’insuffisance de l’onomothète qui a respecté et suivi toutes les ressemblances perceptibles ; au reste, cette désignation même, « les étoiles-anonymes-sous-le-Lièvre », à défaut d’être proprement un nom, suffit à réunir un groupe d’étoiles localisées, et à identifier cet agrégat. Elles échappent ainsi à l’indistinction, même si elles sont, en quelque sorte, au degré zéro du nom et de la figure. Dans ce processus fondamental de construction et de rationalisation du ciel la figure apparaît bien comme la forme extérieure du nom, le moyen de réduire le nombre des étoiles en constituant des ensembles qui valent, essentiellement, par leurs contours extérieurs (leur μορφή, morphè) et non par leurs traits. Atteignant avec « les étoiles-anonymes-sous-le-Lièvre » un stade limite le nom de la constellation montre aussi sa nature intime, qui est davantage de l’ordre du symbole que de l’icône. Pour Aratos aussi la figure de la constellation est essentiellement une unité symbolique, avant de se traduire poétiquement en dessin.

La recherche d’une coïncidence entre les descriptifs imagés de constellations préhipparchéens et les configurations constellaires est peut-être vouée à l’échec non seulement pour des raisons pratiques, qui tiennent à l’usage libre des figures et au caractère inadéquat et trompeur des représentations graphiques, mais aussi pour des raisons théoriques, qui tiennent au statut inattendu de la figure identifiant une constellation. La tradition de description en image ponctuée d’étoiles, à partir des Catastérismes, montre clairement les défauts d’une image mouvante, aux dimensions et à la posture changeantes. L’icône, comme on l’a vu, est toujours sujet de dissensions et de querelle. Si un astérime simple est associé anciennement et régulièrement à une image, on ne peut dégager des textes une icône commune, un portrait consensuel, sur lequel s’entendraient graphistes et écrivains. Force est de constater à la fois une indépendance relative –voire une concurrence objective– entre les choix de la représentation imagée et les données de l’uranométrie systématique, et un compromis prolongé et équivoque entre ceux qui tiennent les étoiles et ceux qui tiennent les images. Ce duo forcé ne parvient pas même à s’entendre sur le ton après la réforme ptoléméenne qui dresse, en même temps qu’une liste méthodique des étoiles, une concordance précise entre l’anatomie des figures et les coordonnées singulières des astres qui leurs sont rattachées. On peut affirmer que toutes les sphères et les planisphères modernes imagés sont en partie faux, de Johann Bayer (1603) à Eduard Heiss (1872) et au-delà, même si on les confronte à un texte unique, comme celui de Ptolémée. Les seules expressions fidèles des données anatomiques ptoléméennes se trouvent dans des vignettes individuelles de figures[67] ; mais en ce cas l’astrothésie est entièrement sacrifiée et la disposition des étoiles n’a plus de rapport avec la configuration céleste, l’illustrateur se bornant à placer des repères sur une image, en suivant les indications anatomiques. Ainsi aucune représentation figurée ne respecte la concordance ptoléméenne.

Mais est-ce bien là ce qu’on attend de la figure en astronomie ? Dans le poème d’Aratos la figure constellaire a une valeur principalement symbolique : elle est un ensemble, un réseau vaguement circonscrit d’étoiles et construit une topographie floue[68]. Aucun inventaire précis ne vient la faire passer du statut de figure à celui d’icône. Il est donc clair que son rôle ne se limite pas à celui de support d’étoiles et même que le rôle principal de l’image est à chercher ailleurs. L’image apparaît comme un référentiel sans brevet, dont chacun peut faire usage, au service d’un projet astronomique qui n’est pas toujours de localiser minutieusement les étoiles. Nul n’est tenu d’utiliser la même règle, le même mètre, et la figure, au su de tous, n’est qu’une façon de parler, et parfois de s’entendre, en astronomie. Comme on l’a vu, Ptolémée, techniquement mieux armé et résolument analytique, ne se laisse pas imposer une représentation traditionnelle de la constellation –qui n’est au fond pour lui qu’une rubrique convenue réunissant des astres indépendants– mais s’autorise à redisposer les étoiles. Il n’est pas gêné par l’icône comme nous pouvons l’être quand nous confrontons les textes, car il la reconstruit et ne cherche pas à rendre compatible la configuration et une icône reçue, mais propose deux représentations parallèles, deux façons de parler de deux réalités qui, du coup, ne peuvent pas, fatalement, être exactement les mêmes.

Visiblement l’image jusqu’à un certain point peut être approximative, schématique et englobante, et se superposer vaguement à la configuration, sans embarrasser le discours astronomique. Jusqu’à quel point ? Quand il s’agit de décrire étoile après étoile la constellation, autrement dit de justifier l’image, d’ajuster l’anatomie d’une figure et un essaim d’étoiles, on doit passer par une icône, une représentation matérielle, ou éventuellement virtuelle mais précise, de la figure. La tradition (les icônes existantes, tant graphiques que textuelles) joue là un rôle perturbateur et conduit l’auteur, lorsqu’il s’en soucie, à chercher des compromis. Prendre l’icône au pied de la lettre entraîne en effet des complications, et révèle un seuil au-delà duquel la vertu de l’image s’inverse et où elle devient un obstacle épistémologique. La modernité s’est progressivement avoué la nature parasite de l’image en astronomie, et elle n’a que récemment passé le pas et liquidé entièrement la figure. Après avoir laissé, de manière ptoléméenne, la constellation vivre sous deux régimes, également scientifiques puisque les illustrations des principaux atlas modernes étaient surveillées et cautionnées par des savants, les astronomes ont décidé récemment de répudier les images. La priorité de l’étoile sur la constellation, affirmée par Ptolémée, aboutit, après que les astronomes se furent affranchis de la représentation organique, à une définition abstraite ou strictement géométrique de la constellation, entièrement désimaginée. Par décision de l'Union Astronomique Internationale, en 1930, fut adopté un ciel sans figures et systématiquement cadastré[69]. Les constellations (dont le nombre a été arrêté à 88) deviennent des parcelles d’espace céleste et perdent leur anatomie ; le nom de la constellation persiste, avec des frontières révisées, mais en tant que symbole et non plus icône.

 

 

Ce processus fut entamé par Hipparque et Ptolémée ; mais ces auteurs se battent encore sur le front de la figure ; ils rectifient l’icône sans la sacrifier, car ils la tiennent pour un langage d’appoint, efficace malgré son manque de précision, non pas comme l’expression authentique des configurations d’étoiles mais comme un système de repères. Le dessin virtuel de la constellation, dans l’antiquité aussi, pouvait être un symbole plutôt qu’une icône. Aujourd’hui les deux valeurs ne semblent plus pouvoir faire cause commune en un discours. Figure et configuration s’excluent alors qu’elles se confortaient ou du moins se toléraient mutuellement jusqu’à Ptolémée inclus, en croisant leurs informations. Eratosthène, dans cette histoire, constitue un cas particulier dans la mesure où son texte se compose de deux parties qui répondent à deux logiques radicalement différentes, en ce qui concerne la figure : la notice mythologique est une exaltation de la figure, pas son histoire qui lui donne épaisseur et animation ; la section astrothésique, au contraire, est une mise en danger de la figure par la suggestion d’un dessin soit vague soit confus. L’étude des caractéristiques des figures de constellations et de leur statut dans les textes conduit à envisager une interprétation peu orthodoxe de la fonction de l’image en astronomie. Supposée servir à organiser les configurations d’étoiles dans un double but de symbolisation céleste et de repérage stellaire il apparaît que la figure, étendue pour conjurer l’éparpillement des étoiles contribue aussi à limiter et refouler l’identité individuelle, astrothésique ou autre, des étoiles, et finalement à masquer les configurations, en substituant au dispositif d’étoiles une fiction qui le brouille.

Rien n’empêche, théoriquement ou pratiquement, de tirer le portrait des constellations, de les mettre en images, de mettre en fin de compte l’image au service de la configuration ; pourquoi, dès lors, la figure n’a–t-elle jamais été vraiment, même pour des astérismes réduits, dans cette fonction de codage stable et rigoureux de la constellation, sauf dans des reconstructions savantes (Hipparque, Ptolémée) où elle avait sans doute cessé d’être ce qu’elle était, le mode d’expression privilégié voire unique du ciel ? Les métamorphoses de la figure à travers des icônes variables et les nombreuses confusions ainsi introduites dans le discours astrothésique ne sont peut-être pas la conséquence malheureuse d’un code mal contrôlé, mais une incidence, et de faible importance, dans un programme de représentation et de symbolisation qui visait avant tout à constituer et maintenir un nom.

 

 

Bibliographie

 

Béatrice Bakhouche, « La peinture des constellations dans la littérature aratéenne latine. Le problème de la droite et de la gauche », Antiquité Classique, 66, 1997, p. 145-168.

Pascal Arnaud, “L’image du globe dans le monde romain. Science, iconographie, symbolique”, MEFRA, 96, 1984, p. 53-116.

Aldo Bartalucci, « Il lessico dei catasterismi nel De astronomia di Igino e nei testi omologhi », Studi classici e orientali 38, 1988, p. 353-372.

Franz Boll, Fixsterne, RE, VI, 2 (1909), col. 2416-2431.

Pascal Charvet, Arnaud Zucker, Jean-Pierre Brunet, Robert Nadal, Eratosthène, Le ciel, mythe et histoire des constellations. Paris, NiL, 1998.

Hélène Cuvigny, “Une sphère céleste antique en argent ciselé”, in : H. Harrauer et R. Pintaudi (édds.), Gedenkschrift Ulrike Horak, Florence, 2004 (Papyrologica Florentina 34), p. 345-381.

Manfred Erren, « Asteres anonymoi (zu Arat 367-385) », Hermes 86, 1958, p. 240-243.

Simonetta Feraboli, « Sulle tracce di un catalogo stellare preipparcheo », in : Mosaico. Studi in onore di Umberto Albini, Gênes, 1993, p.75-82.

Wolfgang Hübner, « L’iconographie du ciel étoilé des Anciens », Pallas 69, 2005, p. 233-246.

Jean Martin, « Sur le sens réel des mots “catastérisme” et “catastériser” », in : Palladio Magistro. Mélanges Jean Soubiran. Pallas, 59, 2002, p. 17-26.

Jean Martin, Aratos, Phénomènes. Tome I : Introduction, texte, traduction. Tome II : Commentaire. Paris, Belles Lettres 1998.

Jean Martin, Histoire du texte des Phénomènes d’Aratos. Paris, Klincksieck (Études et commentaires 22), 1956.

Felice Stoppa, Atlas Coelestis. Il cielo stellato nella scienza e nell'arte, Salviati Editore, 2006.

Alfred Stückelberger, « Sterngloben und Sternkarten. Zur wissenschaftlichen Bedeutung des Leidener Aratus », Museum Helveticum 47, 1990, p. 70-81.

Georg Thiele, Antike Himmelsbilder, Berlin, 1898.

Ernst Zinner, « Die griechischen Himmelsbeschreibungen », Bamberg, Bamberger Verl.-Haus Meisenbach, 1948.



[1] Cet article est une version augmentée d’images et remaniée par endroits d’un article paru sous le titre "Le traitement de l’image en astronomie", dans Eratosthène, un athlète du savoir (C. Cusset & H. Frangoulis, eds), Saint-Etienne, Publications du centre Jean Palerne, 2008.

[2] Ainsi pour Eratosthène, Boll (1909) donne le chiffre de 761, Zinner (1948) celui de 711 ; le chiffre de 736 est celui que proposent J.P. Brunet et R. Nadal (Charvet 1998). À titre de comparaison, le catalogue Hipparcos, établi à partir de données recueillies par satellite et publié en 1997, contient 118 218 étoiles. Précisons pour le texte d’Eratosthène que les étoiles signalées sont généralement de magnitude 1 à 4, les seules mentions d’étoiles de très faible grandeur (magnitude 6) étant les suivantes : les sept étoiles sur le dos du Capricorne (ο, υ, θ, 30, ι, ε et κ Cap) ; les deux É. sur la tête du Capricorne (π et ρ Cap) ; les trois É. qui sont du côté du Poisson sud sur le fil qui relie les Poissons (41, 51 et δ Psc) ; l’É. sur le dos du Dauphin (η Del) ; et peut-être l’É., sans éclat, sur la main droite de Cassiopée (σ Cas).

[3] Restent quelques incertitudes, comme pour l’étoile située sur le pied droit du Verseau selon Hipparque (3.3.8) et Eratosthène (chap. 26) que ne semble pas connaître Ptolémée (Feraboli 1993 : 79) ; peut-être δ Aqr que Ptolémée localise sur le mollet droit…

[4] En effet, une première difficulté est de nature physique et tient au changement de coordonnées des étoiles : il faut calculer au préalable la position des étoiles à l’époque de l’auteur en tenant compte de phénomènes comme la précession des équinoxes et le mouvement propre, et sans exclure l’hypothèse d’une information de seconde main, correspondant à une observation antérieure. Il ne faut pas minimiser les difficultés de cette nature et la tâche des astrophysiciens dans l’analyse des données antiques ; lorsqu’il y a un désaccord entre une information textuelle et le calcul moderne de la position d’une étoile l’enquête, souvent, ne peut pas déterminer l’origine du décalage (erreur d’observation, de calcul, de copie, usage de coordonnées écliptiques ou équatoriales…).

[5] Une difficulté annexe, que l’on négligera ici, tient à la pauvreté du vocabulaire qualifiant les étoiles : on rencontre peu d’indications de couleur y compris chez Ptolémée, et les notations d’éclat sont rares et le vocabulaire réduit (brillante, vive, terne, brumeuse : λαμπρός, ἐκφανής, αϕμαυρός, νεφελοειδής) –jusqu’à l’introduction systématique par Ptolémée d’une échelle de grandeur (μέγεθοV), correspondant à peu près à la magnitude, et constituée de six échelons (α, β, γ, δ, ε, ς).

[6] Sur les termes de sens discuté κνήμη (knèmè, mollet ou jambe) et ἐπιγουνίς (épignounis, cuisse ou genou), voir Aratos, Ph. 254 et Martin 2001, II : 263. J. Martin dans sa traduction d’Aratos traduit contre l’usage le premier terme par ‘jambe’ (Ph. 613, 619, …).

[7] Il n’en reste pas moins que les difficultés d’identification dans le texte d’Hipparque portent principalement sur les animaux ‘à queue’.

[8] Chap. 2 (UMi) : « l’étoile qui mène dans le rectangle » ; chap. 7 (Sco) : « les étoiles du Scorpion sont conduites par la plus belle… ».

[9] La description de la constellation du Cancer (chap. 11) illustre cette préférence ératosthénienne pour la logique anatomique : même si la plupart des étoiles signalées par Eratosthène ne sont pas positivement identifiables il nomme pince ‘gauche’ la pince qualifiée normalement et justement (Hipparque, Ptolémée) d’ ‘australe’ (Hipparque 2.5.2, etc.).

[10] On en relève 51, tous signes confondus, y compris les figures doubles qui semblent exiger par excellence cette information : Her (5), Oph (4), Vir (1), Gem (4), Cnc (4), Leo (1), Aur (3), Tau (3), Cep (2), Cas (5), And (4), Per (5), Cyg (2), Aqr (3), Sgr (1), CMa (2), Cen (3).

[11] L’absence totale des repères de localisation fournis par les points cardinaux est particulièrement remarquable.

[12] Voir infra (2.2.3) les indications de latéralité.

[13] Le système de repérage d’Hipparque n’est pas uniforme, mais il utilise principalement les coordonnées équatoriales et non, comme Ptolémée, les coordonnées écliptiques (longitude et latitude) ; cf. Ptol., Alm. 7.4 (J.L. Heiberg, Claudii Ptolemaei opera quae exstant omnia, vols. 1.1-1.2, Leipzig, Teubner, 1898-1903).

[14] Les raisons sont sans doute diverses. Dans le cas d’Hipparque en tout cas cette réticence tient à l’inexactitude des figures dégagées. Il conclut ainsi le passage qui suit en qualifiant d’erreur partagée l’indication d’un triangle équilatéral pour Céphée, puisque les distances ne sont pas exactement les mêmes, l’intervalle entre les pieds étant inférieur aux autres (διάστημα ἔλασσον, diastèma elasson).

[15] Sans compter, naturellement, la constellation du Triangle et des remarques portant sur l’icône et non l’astérisme : « la Bête …à laquelle on donne une forme quadrangulaire » (chap. 40).

[16] Ph. 142, 168, 233, 235, 376… ; voir infra, 3.1.

[17] Lors du travail sur le texte d’Eratosthène (Charvet 1998), il est apparu que, malgré tous les efforts de l’illustrateur, certaines images contiendraient en fin de compte inévitablement des infidélités, parfois importantes, par rapport au texte.

[18] Sur l’importance des représentations figurées de ce type dans le développement de l’astronomie et son influence sur la littérature voir Thiele 1898.

[19]http://members.westnet.com.au/Gary-David-Thompson/mainz-globe.jpg ; http://www.ecoles.cfwb.be/argattidegamond/Bo%C3%AEte%20%C3%A0%20outils/Images,%20sons/Atlas%203.jpg.

[20] La présentation de profil, y compris pour les figures humaines, permet d’étendre la surface de projection de la figure et de couvrir un espace plus vaste.

[21] Ces équivalences sont celles que propose R. Nadal (dans Encyclopédie du Ciel, A. Zucker (ed.) B. Laffont, coll. Bouquins (à paraître).

[22] On a signalé plus haut cette caractéristique. Alors que cette indication pourrait intervenir dans 43 cas (organes ou membres doubles), elle est absente de 25 chapitres d’Eratosthène. Dans le premier livre des Astronomica de Manilius on ne trouve même aucune indication de latéralisation dans la description des étoiles (Backouche 1997 : 152).

[23] Scholia in Aratum, ed. J. Martin (Teubner 1974), p. 199-200.

[24] Backouche (1997 : 149-150) compte trois modes et inclut la droite « par rapport à une autre figure », mais ce mode n’a pas lieu d’être car il se confond avec l’un des deux autres (une figure est à droite d’une autre par rapport à la droite anatomique de cette dernière, ou par rapport à l’observateur). Evidemment, ce qui est à droite de la figure dans le ciel doit figurer à gauche de la figure représentée sur la sphère.

[25] Il est étrange de constater que les atlas modernes ne suivent pas toujours cette logique-là ; plus étrange encore de s’apercevoir que l’option retenue dépend de l’animal et se trouve reproduite dans toute la tradition : dans une vingtaine d’atlas consultés, parmi les plus célèbres, depuis J. Bayer (1603), tous respectent le déplacement de la Grande Ourse et font marcher l’amble au Lion, sans que la raison puisse, à notre avis, être cherchée dans les données astrothésiques (les antérieurs du Lion sont assez rapprochés et il y a une hésitation sur la place de o Leo, en avant de la figure, sur l’antérieur gauche [Eratosthène] ou droit [Ptolémée]).

[26] Les icônes (de voûte) du Taureau devaient présenter le genou droit en avant du gauche. C’est donc logiquement sur l’antérieur gauche et non sur le droit (contrairement à ce que propose Halma dans sa traduction de Ptolémée [1816, II, p. 66]) qu’il faut situer μ et ν Tau, sauf si l’icône envisagée est une icône de sphère.

[27] Ainsi pour le Centaure Eratosthène (chap. 40) indique une étoile sur le coude gauche, et une à la pointe de la main (scil. gauche) ; les meilleures candidates sont η Cen et κ Cen (d’après Ptolémée) qui sont sur le membre droit (tendu vers la Bête) dans la logique d’une image de voûte ; mais ces étoiles sont normalement sur le membre gauche de la représentation de sphère proposée par Bayer.

[28] …et après lui une partie de la tradition latine (voir Aviénus, Phénomènes d’Aratos 192).

[29] Voir Zinner 1948, p. 2 et Backouche 1998, p. 150-151.

[30] Cf. Hygin, Astron. 3.3 (sinistra) ; Zinner 1948, p. 5 ; Feraboli 1993, p. 81. Sur des exemples de confusions chez Hygin ou de divergences de leçons sur ce point, voir l’introduction au texte de A. Le Bœuffle (p. XI-XII)

[31] Aratos (Ph. 254) place la rotule gauche de Persée près (ἄγχι, anchi) des Pléiades ; Attale soutient que ἄγχι doit être compris comme équivalent de ἐγγύς (engus, proche) et non pas comme ἐγγυτάτω (engutatô, tout près) ; et que c’est le membre de Persée le plus proche des Pléiades ; mais l’énoncé, même à ce prix, est faux selon les repères d’Hipparque (1.6.12). Une scolie au vers 254 (citant Diodore le mathématicien) propose pour sa part de remplacer dans le texte d’Aratos même, pour le rendre plus compatible avec la remarque d’Hipparque, le mot ἐπιγουνίδοV (epigounidos, rotule) par ὑπογουνίδος, avec le sens de jambe, ou bien, sans changement de donner le sens de jambe à ἐπιγουνίδοV (voir supra note 5). Voir aussi la discussion d’Hipparque sur la courbure (σπείρα, speira) du Dragon (1.4.2-3).

[32] Sur le mouvement aberrant des trois premiers, voir Manilius 2.197-200 ; Hübner 2005, p. 237. Le cas étrange d’Argo, qui progresse poupe en avant, est également signalé par les commentateurs anciens (voir par exemple Aratos, Ph. 344 : ὄπιθεν φέρεται τετραμμένη, opithen feretai tetrammenè).

[33] Un grand nombre des désaccords d’Hipparque avec Aratos, et sans doute des erreurs apparentes d’Hipparque peuvent tenir à cette variation iconographique. Ainsi, en 3.2.1, le texte d’Hipparque contient un passage apparemment erroné sur les étoiles qui culminent lors du coucher de l’Hydre : « et l’étoile située sur le bout de la queue de l’Hydre, qui précède le méridien d’une demi-coudée » ; mais il suffit, pour rendre cette indication valable, d’adopter comme « bout de la queue » σ Lib (= γ Sco) au lieu de π Hya, qui est l’identification habituelle.

[34] Cette étoile (Dubhe) est « sur les omoplates » d’après Eratosthène.

[35] Sur quelques originalités de Ptolémée par rapport à la tradition Eratosthéniene, voir Zinner, 1948, p. 11.

[36] Arcturumque rapit medio sub pectore secum. Voir Feraboli 1993, p. 81-82.

[37] Voir Ph. 360 : les débris d’Eridan,  λείψανον  Ηριδανοῖο).

[38] Voir Hipparque 2.6.3 (συστροφή, sustrophè).

[39] …voire ἄγαλμα (agalma = Aratos, Ph. 197).

[40] Sur le vocabulaire latin relatif aux figures et à leur rapport aux étoiles, voir Bartalucci 1998.

[41] Les seules descriptions de figures astérisées (figures décrites avec position d’étoiles) chez Aratos sont Draco (Ph. 54-57), Ursa Major (Ph. 141-145), Pegasus (Ph. 206-213), et deux étoiles de la Crèche (Ph. 892-898).

[42] Arcturus, Capella (= α Aur), Spica (= α Vir), Protrugeter « aussi éclatante que l’étoile sous la queue de Ursa major » (Ph. 140 ; = ε Vir), le Nœud des Poissons (= α Psc), Sirius (= α CMa), et 2 étoiles du Verseau (= α Psa & β Cet [?]).

[43] Dans les livres 2 et 3 consacrés aux levers et couchers simultanés Hipparque use souvent, par une sorte de métonymie, du nom de la partie anatomique à la place de l’étoile qui la marque (voir par exemple 2.5.8 : « la dernière [étoile] à culminer est le coude gauche de la Vierge »).

[44] « Zweifellos hat Arat sein Gedicht nach einem solchen nach Eudoxos verfertigen Globus geschaffen » ; voir Zinner 1948, p. 2. C’est aussi de cette manière que semble avoir procédé Cicéron (Backouche 1998, p. 147).

[45] Voir Cicéron, Rep. 1.22 : sphaera solida.

[46] Tous les traducteurs et adaptateurs latins d’Aratos ou d’Eratosthène devaient aussi s’inspirer de globes imagés. « En de nombreux endroits du poème de Germanicus, écrit Le Bœuffle, se devine l’utilisation d’un tel globe. On peut la supposer chaque fois que la description donne aux gestes des personnages, aux attitudes plastiques, à des détails anatomiques plus d’importance qu’aux assemblages géométriques de point lumineux » (Le Bœuffle, Germanicus. Les Phénomènes d’Aratos, 1975, Belles Lettres, p. XXII)

[47] Voir Stückelberger 1998.

[48] « On lisait Aratos en promenant le doigt sur des sphères spécialement constuites à cet effet ; ou tout au moins sur des cartes du ciel ou sur des dessins des constellations, qui pouvaient figurer sur les volumina à titre d’illustrations. Mais nous ne savons pas à quelle époque on commença à construire les sphères dites aratéennes dont nous parle le mécanicien byzantin Léontius (VIIe s.) » (Martin, 1956, p. 31). Il existait quatre sortes de modèles réduits de sphères (Aujac, Geminos, 1975, p. LXVII-LXIX) parmi lesquelles les sphères étoilées ou solides (indiquées pour Hipparque par Ptolémée, Alm. 7.1) appelées aussi sphères à constellations (καταστηριζόμεναι σφαῖραι : Geminos, 5.65). Les autres étaient la « sphère céleste théorique » (figurant les cercles), la «  sphère armillaire » (figurant les cercles avec la terre au milieu) et la «  sphère planétaire » (figurant dans la sphère des fixes les systèmes sphériques des planètes).

[49] Voir aussi, sur l’Hydre selon Eudème, Zinner 1948, p. 6.

[50] Mss Marcianus 476 (ed. E. Maas, p. 329), cité par Martin (1956 : 32).

[51] Martin, Aratos. Les Phénomènes, II, p. 303.

[52] Cf. Ph. 449 ce qui est nommé l’εἴδωλον (eidôlon) du corbeau désigne la projection imagée particulière du corbeau –ce qu’on appelle icône. En outre le mot μορφή (morphè) n’apparaît jamais dans le texte, sinon sous la forme d’un verbe, uniquement dans le passage commenté (Ph. 375).

[53] Voir Hygin, Astr. 2.28 : Hujus effigies similis est Aegipani.

[54] Signalons que le texte d’Hygin (hic ante maiorem Canem exoriri videtur : Astr. 2.36) suggère une autre version (ou une corruption) de cette phrase, qui présente d’ailleurs une tournure suspecte.

[55] Par exemple, à propos de la chevelure de Bérénice une scholie dit que Conon le mathématicien « catastérisa la chevelure à partir de ces étoiles (ἐξ αὐτῶν) » (Martin 2002, p. 20).

[56] Faute de préciser le sens qu’il donne à ces termes généraux, Martin ne permet pas toujours une interprétation simple de ses formules ; qu’est-ce que des « images faites d’étoiles réelles et visibles » (Martin 2002, p.22, traduisant Hipparque, 2.1.7 : ἕκαστον τῶν ἠστερισμένων καὶ βλεπομένων ζῳδίων).

[57] Telle est la traduction latine du titre d’Eratosthène dans l’Anonymus II.2.

[58] Introduction aux Phénomènes 1.3-4.

[59] Voir Hipparque 2.1.8 : « Dans la mesure où les constellations zodiacales telles qu’on les voit [= icône], ne sont pas égales aux dodécatémories [= 1/12ème d’arc], et au lieu de tenir entièrement dans l’espace qui leur correspond tantôt elles sont plus réduites qu’une dodécatémorie, et tantôt elles sont d’une taille bien supérieure (que l’on prenne, par exemple, le Cancer qui occupe moins d’un tiers d’une dodécatémorie… ».

[60] Le Bœuffle, 1973, p. 442 (c’est nous qui soulignons).

[61] Hipparque donne plusieurs exemples de descriptifs d’étoiles divergents chez le même auteur, à savoir Eudoxe : « Dans l’un de ses traités, celui qui est intitulé les Phénomènes, il s’exprime ainsi : ‘Au-dessus (ὑπέρ, huper) de Persée et de Cassiopée, se trouve à peu de distance la tête de la Grande Ourse, les étoiles se trouvant dans leur intervalle ont peu d’éclat’ ; et dans son ouvrage intitulé Le miroir, il dit : ‘Derrière (ὄπισθεν, opisthen) Persée et près des hanches de Cassiopée (παρὰ τὰ ἰσχία, para ta ischia), se trouve à une faible distance, la tête de la Grande Ourse ; les étoiles dans l’intervalle ont peu d’éclat’ » (1.6.1).

[62] C’est peut-être principalement là qu’il faut chercher l’origine des erreurs astronomiques commises par Aratos, que dénonce parmi d’autres Hipparque, et qui lui valent de passer sans doute à tort pour un ignorant (voir Cicéron, Oratore 1, 69 : « etenim si constat inter doctos hominem ignarum astrologiae ornatissimis atque optimis versibus Aratum de caelo stellisque dixisse » ; et le témoignage des vies : Vita Arati I, 19 (Martin 1956, p. XII) ; Vita Arati II, 6 (Martin 1956, p. XV) ; et Vita Arati III, 11 (Martin 1956, p. XVI) qui le défend en ces termes : « savoir transcrire (μεταφράσαι, metaphrasai), c’était déjà faire preuve de compétence astronomique »). Dans l’esprit d’Hipparque, « il faut remettre Aratos à sa place, celle d’un amateur, et reprendre l’usage de son libre jugement » (Martin 1956, p. 27).

[63] La logique de cet onomothète légendaire n’est pas très claire, qu’on suive Attalos ou qu’on lise Hipparque. Mais le sens de ce passage crucial d’Aratos (voir Martin 2003, II, 302-307) est en fait manqué par les deux auteurs. L’anonymat de l’amas stellaire situé sous le Lièvre est une situation non pas fréquente, comme le laisseraient croire les deux exégèses proposées, mais rare ; et elle est surtout l’occasion pour le poète de rappeler (vers 370-382) l’importance du rôle du premier astronome qui constitua et nomma les astérismes (Ph. 11).

[64] Le vocabulaire en témoigne ; en 13 vers on trouve successivement : νώνυμοι, ὀνομαsτί καλέσσαι, ὄνομ' εἰπέμεν, ὀνομαστὰ γένοντο, οὐκ ὀνομαsτά φέρονται.

[65] Traduction de μορφώσαV par Martin. La suppression de l’adjectif ‘complète’ est la seule modification que nous avons apportée à la traduction de Martin, reprise telle quelle dans le passage cité plus haut.

[66] Très tardivement (XVIe-XVIIIe siècle) ces étoiles ont été nommées et réparties entre Columba (par Petrus Plancius) et Caelum ou Scalptorium (par La Caille) ; voir R. H. Allen, Star Names: Their Lore and Meaning, 1899, p. 166.

[67] Voir l’article de Stückelberger 1990 et son étude du Sagittaire dans le codex de Leyden (Cod. Voss. Leid. Q 79), p. 80.

[68] Les meilleures descriptions d’astérismes dans le poème d’Aratos se trouvent dans la section où sont décrits les cercles tropiques et l’équateur (v. 480-524) ; car il faut préciser les intersections. Sur ce quadrillage élémentaire les données sont précises, mais elles ne concernent que les figures : « les sabots du Cheval, le cou de l’Oiseau jusqu’au sommet de la tête, et les belles épaules du Serpentaire… » (v. 487-489).

[69] Ce nouvel ordre du ciel est l’aboutissement de tentatives diverses :  J. E. Bode, en 1801, dans son Uranographia ajouta aux figures des limites de zone ; C. L. Harding, en 1822, dans son Atlas Novus Coelestis supprima les figures (mais déjà des savants comme Alessandro Piccolomini, en 1570, proposaient des schémas de constellations dépouillés d’images, sans que ce mode de représentation ne devienne la règle) ; J. Herschel, en 1847, proposa de définir les constellations par des quadrilatères sphériques qui se révélèrent peu adaptés ; etc. La décision de l’UAI repose en fait sur les travaux de F. W. A. Argelander, dans son Uranometria Nova parue en 1843, et plus directement sur ceux de B. A. Gould qui définit un plan d’occupation du ciel pour l’hémisphère sud (1877), systématiquement repris collectivement à partir de 1925 sous l’égide de E. Delporte, et figurant en partie dans un mémoire signé par ce dernier en 1930 et intitulé Délimitation scientifique des constellations.

 

 

Arnaud Zucker, Professeur de langue et littérature grecques, Université de Nice-Sophia Antipolis, è tra l'altro il coautore insieme a Pascal Charvet di Eratosthène, Le Ciel, Mythes et histoire des constellations, NIL Editions, Paris 1998, la prima traduzione commentata in francese dei Catasterismi di Eratostene e di

Ératosthène de Cyrène. Catastérismes

Édition (J. Pàmias), traduction (A. Zucker) et commentaire (A. Zucker et J. Pàmias)

Paris : Les Belles Lettres. 2013

Prix Raymond Weil 2014 décerné par l’Association pour l’Encouragement des Études Grecques en France

 

 

 

 

VERIFICA CON

 

Hyginus

 Poeticon Astronomicon, Basileae 1570 

 

 

Hyginus 

Poeticon Astronomicon

 Arhard Ratdolt, Venezia 1485

 

 

Hugo Grotius

Syntagma arateorum, Leiden 1600

 

 

Johann Conrad Schaubach

Eratosthenis Catasterismi cum interpretatione latina et commentario

Gottingae 1795

 

 

Codice NLW 735C  

 f. 10v

 

 

 Arato

Phaenomena et Prognostica 1569,1570

 

 

Diversi Cycles

 

 

Leggi anche

Moya Catherine Carey

Painting The Stars In A Century Of Change

A thirteenth-century copy of al-Sufrs Treatise on the Fixed Stars

British Library Or.5323

TESTO   IMMAGINI

 

 

 

www.atlascoelestis.com

di

FELICE STOPPA